jeudi 14 février 2013

Ordet - Carl Dreyer

La programmation des salles de cinéma  est un des joyaux de la ville de Paris, à coté des complexes commerciaux , les "cinés clubs"  qui ne cessent de projeter les monuments du 7eme art résistent gaillardement faisant souvent salle pleine. Ainsi ce jour nous avons pu assister à une projection inespérée de Ordet, chef d’œuvre du cinéaste danois Carl Dreyer à la filmothèque du quartier latin.
S'enfoncer au sous sol de ce lieu pour découvrir ce film qui nous plonge dans les milieux luthériens d'Europe du nord est assez cocasse, lorsqu'on sait qu'au début du siècle précédent l'endroit était un cabaret où venaient s'encanailler les étudiants parisiens.
Ordet est l'adaptation d'une pièce de théâtre de Kaj Munk, pasteur luthérien et auteur dramatique . Homme de droite, nationaliste si il a pu être un temps séduit par la montée du mouvement nationaliste en Allemagne, il se détourna très rapidement du mouvement nazi ne pouvant en supporter l'antisémitisme, pour en en devenir un adversaire acharné. Figure importante de la résistance, il fut exécuté par la gestapo, le 4 janvier 1944.
Dans le n°48 des cahiers du cinéma du mois de juin 1955, Lotte H Eisner qui a eu l'occasion de rencontrer le cinéaste danois recueille les propos suivants:

"Dreyer me raconte son émotion devant ce drame de la foi: Dans un pays où le témoignage de Dieu n'est pas le seul privilège du sacerdoce, Munk nous montre un vieux fermier riche qui pendant sa longue vie a fait preuve d'une croyance chrétienne évoluant dans la joie, doctrine radieuse qu'il oppose au fanatisme religieux d'un tailleur qui a rassemblé autour de lui des zélateurs aussi ténébreux que lui. Mais le vieux fermier, touché par la grâce d'un ciel qui permet le bonheur sur terre, devient une sorte de Job: un de ses fils "celui qui ne croyait pas" perd Inger, sa femme en couches; celui qui croit trop fiévreusement devient fou, se prend pour Jésus-Christ; le troisième, être jeune encore malaxable, se sent attiré par la fille du tailleur fanatique. Drame de la foi où la croyance intense qui ne se marchande pas sort victorieuse: le fou Johannes, redevenu sain, reproche aux affligés, devant le cercueil d'Inger, leur manque de foi et prononce la parole du christ "Femme ressuscite". Inger rouvre les yeux et se lève de son cercueil."

Le film est principalement tourné en intérieur, de longs plans fixes avec parfois un mouvement pour glisser d'un personnage à l'autre.Les extérieurs sont  tournés dans la paroisse même de Karj Munk à Veders dans le Jutland, où le vent semble souffler sans interruption,  une terre qui ne semble pas très accueillante, c'est dans cette même région que se déroule "le festin de Babette", tourné des années plus tard par Gabriel Axel.  Dreyer recrée parfaitement l'ambiance paysanne, dans un style  néo réaliste, prenant d'ailleurs  des paysans de la paroisse pour interpréter divers petits rôles. Brigitte Federspiel qui interprète Inger était réellement enceinte lors du tournage, elle a notamment insisté pour que soient enregistrés ses propres gémissements à la clinique. Un film impressionnant servi par un magnifique noir et blanc, où il finit par se créer une véritable tension qui nous tient en émoi. Sublime!

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