mercredi 1 mai 2013

Remonter la Marne - Jean-Paul Kauffmann

Après nous être régalés de l'ouvrage d'Henri Calet "Poussières de routes", il était fort logique de nous plonger dans le dernier récit de Jean-Paul Kauffmann "Remonter la Marne" tant la filiation entre les deux hommes de lettres nous semble évidente. Les deux se révèlent d'excellents conteurs capables en quelques mots de reconstituer une ambiance, des odeurs. Leur humanisme est sincère.
Nous retrouvons ici le même éloge de la lenteur, l'écrivain a décidé de remonter à pied,  jusqu'à la source de la Marne en partant de sa confluence avec la Seine. Henri Calet nous avait enchantés avec ses deux chroniques consacrées à la Loire et la Garonne, nous avons eu le même plaisir à suivre Jean-Paul Kauffmann qui durant prés de sept semaines va errer dans les campagnes françaises sur les chemins de halage. Un exercice solitaire, à l'exception de quelques jours où il fut accompagné par un ami photographe Milan puis d'un chien errant, ce dernier l'abandonnant sans aucune considération pour un autre chemineau. Lorsqu'il est seul, Gaston Bachelard originaire des lieux lui tient régulièrement compagnie ...
La Marne fait partie intégrante de l'histoire de France, lors des guerres pour l'ennemi la franchir, c'est s'ouvrir la route vers Paris. Elle fut un enjeu capital lors du début de la première guerre mondiale quand Joffre et ses hommes sauvèrent miraculeusement le pays d'une défaite rapide... Kaufmann nous remémore cet épisode,  notamment grâce au récit d'un ancien poilu Jules Blain revenu sur les lieux après la paix signée, un texte édité à compte d'auteur,et  trouvé par hasard dans une librairie ... C'est aussi  la patrie de De Gaulle installé à Colombey les Deux Eglises, Napoleon n'est jamais très loin non plus, c'était pour lui une zone de repli.
Mais remonter la Marne, c'est aussi une rencontre avec la l'histoire de la littérature: Bossuet à Meaux, La Fontaine à Chateau-Thiery, Diderot à Langres ou encore André Breton qui fut de passage à Saint Dizier affecté en 1916 dans un hôpital psychiatrique...
C'est également la traversée de la riche Champagne avec son coté austère marqué par le jansénisme, mais qui ne peut laisser indifférent l'amoureux du vin. Chaque soir il s'offre une flute, il n'est jamais déçu par ce moment de douceur au contraire de la gastronomie qui s'avère souvent décevante, heureusement  après son repas il savoure un cigare... C'est un amoureux de la vie qui traverse les campagnes, il en hume les odeurs, reste à l'affut des bruits et ne se se lasse pas de cette rivière que longea le roi Louis XVI de retour de Varennes.
C'est aussi un retour sur son enfance, et ce premier voyage qu'il fit avec ses parents après la deuxième guerre mondiale à Vitry le Francois où son père retrouvait un ami de régiment, boulanger comme lui.
Après avoir traversé les terres de Champagne, le journaliste termine son trajet dans les terres sinistrées par la désindustrialisation, la Haute Marne est un département qui voit sa population diminuer...

C'est avec un plaisir infini que nous avons suivi le parcours de Jean-Paul Kauffmann à travers une région qui nous est inconnue, il fait des rencontres, certaines sont surprenantes comme cet étudiant japonais venu étudier les mouvements d'eau de la rivière, il aime ses contacts, prendre le temps d'écouter, ce n'est pas un homme pressé, son parcours quotidien est en moyenne de 10 km.

Extrait :
"L’hôtellerie et la gastronomie furent, pour nous, des sujets de conversation inépuisables auxquels s'ajoutait l'étude du comportement de nos contemporains dans leur milieu naturel. Nous pratiquions cette éthologie marnaise chaque soir, pimentée d'observations sur le patron, la serveuse, le directeur qui invite son staff, la commercial solitaire assis à la table d'à coté, l'habitué notable du coin traité avec obséquiosité: le "salaud sartrien" comme nous le nommions. Le type odieux de prétention, persuadé que les hommes ne peuvent se passer de son existence. Celui- là on ne le ratait pas: ce spécimen convaincu de son importance était à ranger dans la catégories des considérables.
Des considérables nous en voyions aussi beaucoup à la télé. "Se croire un personnage est fort commun en France", notait déjà La fontaine. Souvent quand la chère est mauvaise, le patron branche en effet la télévision. L'initiative est loin d'être idiote, elle permet de faire oublier la tristesse de la pitance."

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