vendredi 8 mai 2015

L'armée des ombres - Jean-Pierre Melville

"Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus... vous êtes ma jeunesse lointaine..."
C'est par cette phrase de Courteline citée en exergue que le film de Jean-Pierre Melville s'ouvre. "L'armée des ombres" est le grand film sur la Résistance filmée dans son quotidien, et qui sans faire de ses membres des héros romantiques rend hommage à leur courage, leur droiture...
Philippe Gerbier, un ingénieur des ponts et chaussées, est arrêté par les forces françaises pour ses idées gaullistes. Il est enfermé dans un camp prévu à l'origine pour recevoir les prisonniers de guerre allemands. Alors qu'il est remis à la Gestapo, il arrive à s'évader et à reprendre la tête de son réseau. Nous le suivons   dans son quotidien, dans la nécessité d'organiser les mouvements de matériel, d'entretenir les rapports avec Londres, de toujours recruter pour remplacer ceux qui tombent. 
La Résistance est un lieu de camaraderie, de fraternité rare, mais où chacun finit à un moment ou à un autre par se retrouver confronté à sa propre solitude. Pour Jean-Pierre Melville, rejoindre la résistance, c'était passer du coté des hors la lois, les règles appliquées ici sont les mêmes que celles du milieu et notamment celle du silence ...
La seule solution  pour survivre c'est d’être implacable ... celui qui balance doit être supprimé sans état d’âme,ainsi Gerbier doit imposer le meurtre d'un jeune homme qui a trahi ... On ne peut pas le tuer sans attirer l'attention des voisins, le choix est fait de l'étrangler , c'est une scène terrible qui dit toute la difficulté de l'engagement de ses hommes .
Garder le silence sous la torture,autre terrible exercice, Felix l'adjoint de Gerbier tombe. Jean-Pierre Melville sans jamais filmer les séances de torture nous en fait comprendre  toute la violence en filmant avec pudeur le visage de plus en plus tuméfié du héros. Mathilde qui a pris sa place dans le réseau réfléchit aux moyens d'aller rechercher leur camarade dans les murs de la Gestapo. Lorsqu'elle trouve enfin la faille, il est trop tard Félix n'est plus transportable. Ce dernier peut alors compter sur Jean-François son ami, indéfectible compagnon qui a fait le choix de se dénoncer par lettre anonyme auprès de la Gestapo pour retrouver son ami en cellule et l'accompagner dans la souffrance, il lui cède sa pilule de cyanure pour abréger ses souffrances. 
 Mathilde est incarnée par Simone Signoret, impressionnante. Elle est proche de ses hommes, dés qu'ils sont arrêtés, elle cherche un moyen pour les sortir de prison. Elle arrive trop tard pour  Félix, mais elle est là pour sauver Gerbier au moment où il doit être exécuté dans les nazis dans une macabre mise en scène . Elle finit par tomber à son tour, les nazis découvrent son point faible parce qu'elle a eu l'inconscience de garder une photo de sa fille dans son portefeuille. Elle ne peut plus garder son silence, ces camarades informés savent qu’ils n'ont plus le choix, ils doivent abattre cette grande dame..
Film impressionnant parce que Jan-Pierre Melville ne cherche jamais à être spectaculaire, au contraire il fait toujours le choix de la sobriété. Il se laisse toutefois aller à un lyrisme surprenant de sa part lorsqu'il filme Jardy, le grand patron de la résistance se faire décorer par le Général de Gaulle dans un bureau à Londres. La scène a tout pour être ridicule, elle s'avère finalement touchante, elle révèle le sens de la fidélité du cinéaste alors qu'en 1969 peu de monde est là pour soutenir le vieux Général. Il se laisse emporter également au moment où Gerbier et ses compagnons de cellule rejoignent le lieu de leur exécution à une certaine emphase exprimée par la musique de Morton Gould. Ces scènes révèlent combien le cinéaste a puisé dans son intimité et son passé de résistant pour écrire ce film adapté d'un roman de Joseph Kessel.
Nous mesurons alors tout le sens de la phrase citée en exergue,  qui reprend exactement les sentiments exprimés par Romain Gary dont le temps de la résistance fut celui d'une camaraderie inégalée... laissant les survivants dans une sorte de dépression et de nostalgie.
L'armée des ombres est un film magnifique par sa forme à la hauteur du sujet traité. Il trace le portrait de la résistance, une grande famille hétéroclite. On y vient de tous les milieux, nous y retrouvons des ouvriers, des femmes, des ingénieurs, des chercheurs, des communistes, des républicains, des monarchistes,  des gaullistes alors même qu'avant le 18 juin ce concept politique n'existait pas mais très vite certains dont Gerbier se reconnaissent dans la personne du Général le chef de la France Libre, ils oublient leurs différences pour sauver ce qu'ils ont en commun, la patrie. Cette famille est ici parfaitement incarnée par Lino Ventura, Simone Signoret, Jean-Pierre Cassel, Paul Meurisse, Paul Crauchet, et Serge Reggiani qui joue un barbier qui s'il affiche des amitiés vichystes s'invite parmi eux le temps d'un geste,  ...
L'armée des ombres est un monument du cinéma français, un chef d’œuvre incontournable !

Ce film a été vu au cinéma l'Arlequin, dans une version restaurée. C'est également notre participation au ciné-club de Potzina consacré ce mois ci à la famille.

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